Avant d’aborder le rapport en lui-même, je voudrais revenir sur vos déclarations, Monsieur le président, sur les choix de coupes sombres que vous allez réaliser, nous l’avons évoqué ce matin, suite à l’impact de la crise sur les finances de la Métropole. Vous annoncez la remise en cause du programme de rénovation urbaine du grand projet de ville chiffré à 1,25 milliard d’euros, mais sans annoncer l’ampleur de cette coupe. Or s’il est des quartiers où, même si ce n’est pas suffisant, les projets urbains doivent être prioritaires, ce sont bien ceux-là. Et vous annoncez également, parmi les projets que vous suspendez, celui qui constituait une de vos promesses de campagne…
Soit, c’est décalé et non pas suspendu. Mais je reprendrai l’article de « La Dépêche », et comme vous dites, cela vous permettra de rectifier les choses si « La Dépêche » n’a pas dit la vérité. Vous annoncez donc le décalage de la réalisation de la Cité de la Danse à la Reynerie, après avoir supprimé, là je le confirme, notre projet de Maison de l’Image qui était abouti, et en gaspillant au passage 4 millions d’euros. Permettez-moi quand même de regretter ce formidable gâchis. Ces annonces arrivent alors que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) affirme que nous traversons une crise qui n’a jamais été aussi inégalitaire, avec le Covid qui affecte les personnes les plus démunies et les plus précaires. Je vais tenter d’être plus synthétique qu’à la Ville de Toulouse, où nous avons eu cet échange déjà. Mais comme vous venez de le dire, l’enjeu de la politique de la ville est plus que jamais important, dans la situation de crise que nous traversons. Depuis de nombreuses années, d’énormes moyens ont été mis en œuvre, surtout au plan national. Il existe des détracteurs qui estiment que cet argent est gaspillé, que c’est un immense gâchis financier et politique. Pour notre part, nous nous sommes toujours élevés contre ces affirmations qui méprisent les difficultés des populations de ces quartiers et qui finalement, refusent d’assumer notre responsabilité collective vis-à-vis des erreurs commises depuis des décennies. Et à l’inverse, d’autres pensent que ce n’est qu’un problème de moyens et qu’il suffirait de mettre plus d’argent pour apaiser la souffrance et les grandes difficultés de certaines de ces populations.
Aujourd’hui, nous devons nous questionner sur ce que nous avons fait depuis des années, nous devons être capables de l’évaluer et d’effectuer les remises en cause nécessaires. Depuis toujours, mais encore plus depuis l’arrivée de la crise sanitaire que nous traversons, nous ne pouvons plus nous contenter du renouvellement urbain nécessaire, qui apporte des améliorations, mais qui ne change pas fondamentalement la vie des habitants. Aujourd’hui, le chômage, l’inégalité devant les droits fondamentaux que sont l’éducation, la santé, le logement, la sécurité et la discrimination forment une sorte de chape de plomb pour les citoyens concernés. Ce rapport montre une forte activité, il faut le reconnaître. Il y a beaucoup d’actions menées qui apportent des moments heureux de convivialité, de citoyenneté, de démarches qui ont très souvent du sens. Et j’en profite pour saluer tous les acteurs et personnels des collectivités territoriales et de l’État, les permanents bénévoles du monde associatif, qui font un travail de longue haleine, un travail colossal, et je les remercie pour leur engagement sans faille. Mais il faut aujourd’hui se poser la question de la détermination des critères qui nous permettront de savoir si nous allons dans le bon sens et si nos actions sont efficaces. Pas uniquement les critères pour évaluer la méthode, mais bien les résultats.
Quand même, lorsque l’on regarde les statistiques avec un exemple du rapport, on se rend compte du chemin à parcourir. Je cite : « En 2019, la Métropole et la Ville de Toulouse ont mobilisé 5,2 millions d’euros de financement auprès des associations, au titre de leurs actions de droit commun, qui ont bénéficié à 39 713 personnes, dont 12 % issues des quartiers prioritaires. » Or les habitants des quartiers « politique de la ville » représentent 11,7 % de la ville de Toulouse. Nous ne sommes donc pas dans le prioritaire et dans l’urgence. Et par ailleurs, quand on entend dire certains : « Il faut remettre ces quartiers dans la République », nous nous interrogeons. N’est-ce pas la République qui les abandonne ? Donc il faut faire bouger les lignes pour mener une politique globale, mener des politiques de l’emploi, éducatives, du logement, culturelles, sportives, éducatives, coordonnées et renforcées à travers le contrat de ville. A Toulouse, le contrat fait-il bouger les lignes ? Certes, ce rapport est très intéressant, mais il ne permet pas de savoir si l’action fait effectivement bouger les lignes. Comment savoir si la situation a évolué ces cinq dernières années ? Cela devrait être au cœur de ce rapport. Il ne s’agit pas seulement de faire un inventaire, mais aussi de mettre en perspective avec une analyse dynamique.
J’ai donc parcouru ce rapport avec une grille de lecture sur ce qui me semble être les principales préoccupations des habitants de ce quartier. Je ne les reprendrai pas toutes. Effectivement, il y a le logement, l’emploi, l’éducation, la santé, et la sécurité. Que nous dit-il, ce rapport, sur l’efficacité des leviers mis en route ? Sur l’emploi, par exemple, on le sait, qui est une problématique majeure, celle qui engendre pauvreté, précarité, marginalisation, je vous propose trois pistes de réflexion, mais on pourrait en évoquer d’autres. Quelle ambition sur les activités économiques installées sur ces territoires, et particulièrement le commerce et l’artisanat, qui vous le savez, me tiennent à cœur ? Mis à part Empalot, quelles ont été les réelles avancées dans ces domaines ? Pour lutter contre la discrimination à l’embauche, a-t-on des résultats de l’évolution des embauches des grandes entreprises publiques ou privées, ou même de nos propres collectivités dans notre Métropole ? Et a-t-on des résultats sur l’efficacité des mesures ou des dispositifs à l’accompagnement pour trouver un emploi ? Sur l’éducation, nous avons vécu en 2020 et nous vivons une crise sanitaire qui a mis en évidence la fragilité de ces quartiers, notamment une fracture numérique éducative qui nécessite non seulement des moyens, mais aussi un accompagnement spécifique pour la combler. Un autre sujet majeur, vous en conviendrez, est également le décrochage. De nombreux dispositifs existent, et les moyens, souvent de l’État, sont importants, mais il s’agit là aussi d’en évaluer les résultats. Sur la corrélation entre la mixité sociale souhaitée sur les quartiers et l’équilibre dans les écoles du niveau social des familles par la carte scolaire, là aussi, il n’y a aucune visibilité objective qui est pourtant une ambition affichée, depuis les débuts de la politique de la ville.
Et enfin, sur la sécurité, on voit, dans ce rapport, les différentes instances, les dispositifs, les outils. Il est fait mention du doublement des effectifs de la police municipale. Cependant, le bilan, c’est que la délinquance et l’insécurité restent à un niveau très élevé et induisent des dysfonctionnements importants. Nous ne voulons pas faire de surenchère sur cette question, mais ayons le courage d’un débat ouvert et franc. Nous l’avions souligné déjà l’an dernier, la police de sécurité a été mise en place en septembre 2018, dans le quartier de La Reynerie à Toulouse, puisqu’elle faisait partie des 30 quartiers de reconquête républicaine. Quel bilan en est tiré ? Elle devait permettre une meilleure relation police-population, qu’en est-il ? En termes de sécurisation de l’espace public, par exemple, qu’en est-il ? En conclusion, ce rapport doit évoluer, à notre sens, dans les prochaines années, notamment sur la manière décalée de présenter une grande et forte activité et le malheureux constat de la dégradation des conditions et des ressources des populations. Cela nécessite de réfléchir à la fois sur les politiques publiques dans les domaines que nous avons explorés, et la manière de piloter ces actions, souvent cloisonnée, verticale, et sans évaluation au regard de ce que vivent les populations. Celui de l’année 2020 mériterait une autre démarche, car cette année est particulière, et pourrait modifier en profondeur la nécessité d’une gouvernance globale et décisive sur toutes les politiques, particulièrement sur les droits communs. Cette coordination ne doit pas simplement se faire entre les acteurs, mais aussi, et surtout, au sein même de chaque entité actrice. De la même façon que nous nous devons d’interroger toute politique de droit commun sur son impact écologique, nous devons nous interroger sur leur impact dans les quartiers. Je suis convaincue qu’une autre démarche donnera un autre regard, et donc une nouvelle politique de la ville qui est indispensable et urgente. Merci.