Mobilités actives et transports en commun : il est temps de changer d’échelle – Conseil de Métropole du 16 février 2023 – Romain Cujives

Monsieur le Président, Monsieur le vice-Président, chers collègues,

Alors que nous sortons tout juste de l’aube du 21ème siècle, nous connaissons d’ores et déjà le grand défi de notre temps. La décarbonation de la société, l’arrêt du creusement de notre dette environnementale et la limitation du réchauffement climatique ainsi que de ses impacts sanitaires. Deux des plus gros contributeurs d’émissions de CO2 sont, nous le savons le logement et les transports, et relèvent en bonne part de politiques publiques que nous délibérons ici. C’est dire l’immense responsabilité qui est la nôtre. Aujourd’hui, dans l’attente de la présentation de la soutenabilité financière de la troisième ligne prévue demain, il n’est pas l’heure d’avoir un débat de chiffres mais bien de dire où nous voulons aller en matière de transports en commun, comment nous voulons y aller, il est temps de fixer le cap qui depuis tant d’année semble manquer à notre métropole en matière de transport en commun.

Parmi les  droits  fondamentaux  qu’une  métropole  se  doit  de  garantir  à  ses  habitants  figure  celui  de  se  déplacer.  Accéder  à  la  mobilité,  c’est  en  effet  la  première  condition  de  l’ouverture  à  la  société.  En  être  privé,  c’est  renoncer  à  l’enseignement,  à  l’emploi,  au  sport,  à  la  culture,  aux  loisirs…  En  n’offrant  pas  de  solutions  de  mobilité  suffisantes  à  nombre  d’habitants de notre métropole,  nous  privons  cette dernière  d’une  partie  de  ses  talents.  Pire,  nous  participons  à  l’isolement  de  nos  aînés,  comme  au  renforcement  des  déterminismes  de  tous  ordres.  Comble  de  la  situation,  nous  empêchons  les  plus  fragiles  d’accéder  aux  services  publics  et,  singulièrement,  aux  dispositifs  censés  leur  venir  en  aide.

 Notre  ambition  est  donc  de  remettre  la  question  de  la  mobilité  à  sa juste place : il ne s’agit pas d’une thématique technique, mobilisant certes des crédits considérables   mais   se   limitant   à   l’absorption   de   «  flux  »  de  déplacements.  Il  s’agit  au  contraire  d’une   question   transversale,   véritable   articulation  entre  les  différentes  politiques  publiques.  Nous  voulons  faire  de  la  mobilité  un  enjeu social comme environnemental, économique et plus largement d’aménagement du territoire. Je ne peux entamer mon propos sans pointer justement l’irresponsabilité dont vous avez fait part, Monsieur le Président, en mentant en toute connaissance de cause aux habitants de Toulouse et de sa métropole. Vous avez annoncé, contre l’évidence technique, et pour des motivations purement politiciennes, de fausses informations concernant le coût de la 3ème ligne de métro, et sa date de mise en service. Je rappelle qu’entre fin 2019 et fin 2022, le coût de construction est passée de 2,7 à 3,4 milliards d’Euros, soit une augmentation de 26%, tandis que la mise en service glissait de fin 2025 à fin 2028, pour une durée travaux qui augmentait de 50%. Alors certes, la crise Covid est passée par là… et elle a les épaules larges !

Face à l’urgence du combat climatique, nous sommes de ceux qui croient en une exigence de sincérité : sincérité face aux contraintes financières, techniques, calendaires des collectivités territoriales, sincérité face aux changements d’habitudes qui seront nécessaires de la part de l’ensemble des citoyens pour atteindre nos objectifs de réduction d’émission de CO2, et sincérité dans la manière dont nous comptons, nous élus, organiser la répartition des efforts à consentir.

Chers collègues, je veux prendre quelques minutes pour revenir avec vous sur le bilan des politiques de mobilités de notre territoire :

• Tisséo achèvera prochainement, avec le soutien actif de Toulouse Métropole et de ses communes, son plan Linéo, initié sous le mandat de Pierre Cohen. Il faut ici saluer cette restructuration du réseau bus principal, qui permet de desservir à une meilleure fréquence, avec davantage de régularité et sur des amplitudes horaires étendues, une large part du territoire métropolitain. Le plan Linéo a changé le quotidien de nombre de nos concitoyens, en leur offrant enfin une offre de transports publics de qualité à proximité de chez eux. S’il me m’était permis, je partagerais avec vous un regret, que nous pourrions ensemble transformer en plan d’actions. Les Linéo s’appuient sur le réseau routier existant, auquel sont apportées des modifications relativement limitées – créations de quelques voies bus, modification de carrefours, et mise en pleine accessibilité des arrêts bus. Nous devons enclencher un plan d’amélioration continu de ces lignes Linéo, afin d’en faire à terme de véritables Bus à Haut Niveau de Service. Nous devons le faire étape par étape, sans jamais interrompre la vie des quartiers traversés, mais en nous saisissant de chaque opportunité pour améliorer encore la régularité et les temps de parcours.  

• Tisséo a mis en service le Téléo, dont nous pensons le plus grand bien puisque nous en étions à l’initiative. Le Téléo est entré à grande vitesse dans le paysage toulousain, il contribue à la singularité et l’attractivité de notre territoire, et ne demande surtout qu’à être prolongé vers Basso Cambo à l’Ouest, et Malepère à l’Est, pour intégrer aux yeux de tous, le panel de transports en communs du quotidien.  

• Tisséo enclenche en ce moment-même le chantier de la ligne C du métro. Si ce projet n’était initialement pas le nôtre, nous en soutenons aujourd’hui la mise en œuvre tant un « choc de transports » est nécessaire pour faire rattraper à Toulouse et sa métropole son retard. A ce titre, je veux rappeler l’enjeu d’articulation entre urbanisme et transports, renforcé par la perspective du zéro artificialisation nette, qui nous obligera encore plus fortement à privilégier le renouvellement urbain, et donc l’intensification de la ville autour de ses principales infrastructures de transports. J’ai bien noté que les services étaient sur le point d’enclencher des études d’urbanisme autour des stations de la ligne C du métro, c’est cette logique qu’il nous faut généraliser, à Toulouse mais plus globalement dans toutes les communes de notre métropole. Chers collègues, le chantier de la ligne C du métro est régulièrement qualifié de «chantier du siècle » dans la communication institutionnelle. S’il s’agit indéniablement d’un immense chantier de transports , je ne peux me satisfaire de cette expression qui porte, implicitement, l’idée que nous serions sur le point d’achever durablement la restructuration de notre réseau de déplacement. La justice l’a dit en annulant le PDU, qui ne permettait pas d’atteindre nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre : nous sommes, au mieux, au milieu du gué.

Nous devons investir massivement pour favoriser le report modal, vers la marche à pieds et le vélo. A ce titre, je ne peux que regretter que la « marchabilité » de nos rues ne soit pas encore devenu un critère systématique d’analyse et de mise au point des projets de réhabilitation de l’existant, tant nous sommes nombreux à constater une forme de maltraitance des piétons qui sont trop souvent les parents pauvres de l’espace public. Nous voulons aussi partager avec vous nos doutes sincères quant à l’affectation budgétaire des fameux 100 millions d’euros pour le vélo jusqu’en 2026. Soit je ne pédale pas dans les bons secteurs de notre territoire, soit l’essentiel des travaux n’a pas commencé, mais autant je vois le nombre de cyclistes augmenter en flèche, autant je les entends toujours se plaindre de l’absence de pistes cyclables, des discontinuités d’aménagements aux carrefours, et d’une cohabitation encore trop perfectible avec les automobilistes.

Nous devons concrétiser un plan d’urgence pour les transports du quotidien. Il n’est plus question, alors que la ligne C entre en chantier, d’enclencher simultanément des travaux sur le réseau tram, mais je redis la nécessité d’améliorer en continu le réseau bus, qui est encore trop souvent perçu comme le « parent pauvre » du réseau Tisséo.

Nous  devons enfin créer un  titre  de  déplacement  unique  sur  tout le périmètre de transports urbain, permettant d’utiliser indifféremment  le  réseau  Tisséo,  les  autocars  départementaux  et régionaux ainsi que le train pour les déplacements du quotidien. Cette  proposition  préfigure  l’émergence  d’un  nécessaire  réseau  unifié sur le territoire

Enfin, comment ne pas évoquer ici le RER Toulousain. S’il devait y avoir un second « chantier du siècle », qui intègrerait pleinement les communes de 2nde et 3ème couronne à notre dynamique métropolitaine, qui permettrait de dépasser les antagonistes croissants entre centre urbains et zones périurbaines, c’est bien ce projet. Je le redis, nous sommes favorables à la mise en étude immédiate de ce projet de RER, mobilisant l’ensemble des grandes collectivités, Région, Département, Métropole et Tisséo et associant les intercommunalités voisines. En tant que principale polarité urbaine, nous avons une responsabilité particulière, celle d’impulser la dynamique de projet. Et nous avons aussi, 4ème agglomération de France, la possibilité d’obtenir des financements importants de l’Etat pour un tel projet de territoire.

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, vous le savez, vous ne pourrez répondre seuls et à périmètre de décision constant. Pour le bien de tous et de chacun, il est temps de sortir de l’isolement, il est temps d’ouvrir portes et fenêtres à l’ensemble des bonnes volontés exprimées par la région et le département. Il est temps plus que temps d’unifier les politiques de transports publics sur le territoire toulousain. Nous plaidons pour la création d’une autorité organisatrice unique des transports au  sein  du  «  périmètre  de transports urbains », zone d’intervention de Tisséo. Ainsi, des complémentarités  pourraient  émerger  entre  le  réseau  de  transports  urbains  géré  par  Tisséo,  le  réseau  ferroviaire  ou  encore  les  transports par autocar. Mieux, les ressources aujourd’hui propres à  chaque  collectivité,  et  dont  la  mobilisation  n’est  à  ce  titre  pas  optimisée, pourraient demain être mutualisées au service de projets structurants (budgets d’investissement mais aussi ingénierie et personnel d’exploitation).

Cette évolution institutionnelle serait génératrice de bouleversements majeurs à très court terme : elle permettrait de mobiliser l’étoile ferroviaire toulousaine pour les transports urbains, préfigurant en  cela  le  déploiement  d’un  RER  toulousain,  cadencé  au  quart  d’heure,  elle  autoriserait  la  mise  en  place  de  services  express  réguliers  par  autocar  entre  les  communes  de  seconde  couronne  et  le  réseau  structurant  de  Tisséo.  Elle  mettrait  fin  aux  concurrences  entre réseau ferroviaire, réseau interurbain et réseau urbain, permettant  en  cela  de  réorienter  les  budgets  afin  de  viser  une  intégration tarifaire sans surcoût pour les habitants de notre métropole.

Chers collègues, vous nous soumettez aujourd’hui une délibération qui propose une contribution complémentaire de 53 M€ en direction de Tisséo, pour l’année 2023. Nous soutenons pleinement cette approche, qui contribue à doter Tisséo des moyens nécessaires à la transformation de l’offre de transports publics. Nous vous demandons toutefois des réponses aux différentes questions et propositions formulées ici, pour une mise en œuvre que nous souhaitons la plus rapide possible. A ce stade nous considérons que nous ne répondons pas, toujours pas aux impérieuses urgences qui frappe chaque jour à nos portes, celle de l’urgence climatique et celle de l’exaspération croissante et légitime de nos concitoyens coincés chaque jour dans les encombrements. Il est temps d’agir. Il est temps de changer d’échelle.