Construction de logements et d’un groupe scolaire sur un terrain pollué au plomb : appliquons le principe de précaution – Conseil de Métropole du 16 février 2023 – Romain Cujives

Monsieur le Président, Madame la vice-Présidente, chers collègues,   

Vous soumettez aujourd’hui à notre conseil une délibération relative à la seconde modification du Plan Local d’Urbanisme de la ville de Toulouse, celle-ci faisant suite à l’annulation du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal et de l’Habitat par la justice. 

Je rappelle ici que le Tribunal administratif de Toulouse, puis la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux ont considéré que le PLUiH présentait des insuffisances substantielles sur la thématique de la modération de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, de nature à affecter les choix d’urbanisme délibérés par notre assemblée.  

La délibération que vous nous proposez aujourd’hui vise à exonérer d’évaluation environnementale la procédure de modification du PLU de Toulouse. Je veux donc récapituler les faits :   

• Le 29 août 2022, Toulouse Métropole saisissait les services déconcentrés de l’Etat, en l’occurrence la Mission Régionale d’Autorité Environnementale, d’une demande d’exonération d’évaluation environnementale pour cette modification de PLU ;   

• Le 18 octobre 2022, la Mission Régionale d’Autorité Environnementale – MRAe – exprimait un avis défavorable à la demande d’exonération d’évaluation environnementale, sur 3 des 30 points de modification du PLU proposés. Parmi ces 3 points, je veux ici insister sur deux d’entre-eux, l’Orientation d’Aménagement et de Programmation Cervantès, ex-site Peugeot ainsi que l’OAP Alfred Nobel, ex-site Citroën, tous deux situés avenue des Etats-Unis. Pour les deux OAP, où la modification du PLU prévoit la construction de 800 logements et d’un groupe scolaire, l’autorité environnementale pointait, entre autres, la proximité de l’ancienne fonderie de STCM, autour de laquelle les teneurs en plomb dépassent les seuils réglementaires, et pour lesquelles les travaux d’aménagement et de construction entraineront  « des excavations, mises à nu et transferts de matières plombées, susceptibles de générer des incidences sur l’exposition des personnes au plomb ». Cet avis, étayé d’une contribution de l’Agence Régionale de Santé, préconisait la réalisation d’une évaluation environnementale, présentant les mesures visant à éviter, réduire ou compenser les impacts des projets Peugeot et Citroën sur l’environnement, et singulièrement sur la santé humaine ;   

• Le 9 décembre 2022, Toulouse Métropole saisissait à nouveau les services déconcentrés de l’Etat, d’une nouvelle demande d’exonération d’évaluation environnementale ;   

• Le 6 janvier 2023, la Mission Régionale d’autorité environnementale exprimait finalement un avis favorable à cette demande d’exonération, considérant que, pour les projets Peugeot et Citroën, l’ARS avait pu porter des prospections et analyses sur les incidences des pollutions résiduelles liées aux dépôts de plomb générés par l’ancienne usine STCM, et qu’il n’y avait dès lors plus de risque avéré d’accueillir 800 logements et un groupe scolaire sur les ces friches industrielles.   

Vous me pardonnerez, chers collègues, ce propos liminaire un peu long, mais il me semblait nécessaire de récapituler les précédentes étapes, avant de partager avec vous notre perception des enjeux.    

Je dois, avant toute chose, vous dire notre inquiétude de principe lorsque nous constatons que notre collectivité cherche à s’exonérer d’une évaluation environnementale dans le cadre d’une modification du document d’urbanisme, alors même que ce sont des imprécisions et des erreurs dans la prise en compte des enjeux environnementaux qui ont amené à l’annulation de notre PLUiH. J’aurais trouvé judicieux de rechercher l’exemplarité, quitte à perdre quelques mois dans la procédure.

Je suis d’autant plus déstabilisé de constater que malgré un avis initialement défavorable de la Mission Régionale d’autorité environnementale, vous avez maintenu votre analyse, et argumenté – dans un temps très court et donc sans études particulièrement approfondies – pour obtenir de l’ARS un avis finalement favorable à la construction d’un groupe scolaire, dans une zone potentiellement impactée par une pollution industrielle, en l’occurrence au plomb. J’y vois un risque de recours, que vous auriez certainement pu contenir en retirant les projets pointés par la Mission Régionale d’autorité environnementale, ou en portant une évaluation environnementale conformément à l’avis initial de l’autorité environnementale. 

Je ne remets pas en cause le travail de nos services techniques, mais il me semble que le rôle de l’assemblée délibérante est aussi de tenir compte du contexte urbain, et des mobilisations citoyennes qui accompagnent le déroulé de ces procédures administratives. En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il soit judicieux de passer en force une modification du PLU autorisant la construction de 800 logements et d’un groupe scolaire à proximité du site STCM, alors même que les riverains et associations de quartier ont pris connaissance de l’avis initial de la Mission Régionale d’autorité environnementale, et ont exprimé des inquiétudes légitimes quant à la prise en compte des risques sanitaires.  

Au-delà de ces réserves méthodologiques, je ne suis pas convaincu que la scolarisation d’enfants à proximité de ce site pollué ne génère pas des risques de saturnisme, liée aux fortes teneurs en plomb constatées par l’ARS dans ses précédents relevés. En effet, si l’on peut imaginer que la mairie de Toulouse prendra toutes les mesures nécessaires à la construction de son nouveau groupe scolaire dans les règles de l’art, comment garantir que les petits toulousains n’iront pas jouer, en sortant de l’école, dans le parc Cervantes, qu’il n’est – à priori – par prévu de dépolluer dans les prochaines années ?  

Chers collègues, j’en arrive au point majeur de cette procédure. Lors d’ateliers de concertation menés au sujet des OAP Cervantès et Alfred Nobel, il est apparu que l’urbaniste chargé de concevoir ces OAP était mandaté, et donc rémunéré par un promoteur immobilier, Kaufmann & Broad, et pas par la collectivité. Ainsi, c’est bien ce promoteur qui écrit le règlement qui s’appliquera aux parcelles sur lesquelles il entend développer 800 logements, et pas la collectivité qui y construira un équipement scolaire. J’y vois un dessaisissement de la collectivité, de ses services et de ses élus, au bénéfice d’un acteur privé.

Dans ces conditions, le principe de précaution que nous aurions légitimement privilégié vis-à-vis du risque de pollution, tous bords politiques confondus, est abandonné au profit de la poursuite à marche forcée d’un projet d’aménagement générateur de profits pour un acteur privé. Nous avons là, chers collègues, une situation qui me semble totalement inédite, et particulièrement problématique. Je vous propose :  

• Le retrait de la délibération qui nous est soumise aujourd’hui, les conditions de mise au point de cette modification du PLU de Toulouse n’étant pas réunies pour un débat serein ; 

• L’engagement d’une évaluation environnementale associée au projet de modification du PLU, qui permettra de juger en toute objectivité de la pertinence de maintenir les OAP Cervantès et Alfred Nobel, en y associant les acteurs locaux ainsi que les élus d’opposition. 

En l’absence d’un tel plan d’action, nous nous verrons dans l’obligation de voter contre cette délibération.